#5 Hirak rime t-il avec diaspora?
La diaspora a rapidement pris fait et cause pour le soulèvement en Algérie. Alors que les marches reprennent ce 22 février 2021, quelle place peut-elle jouer dans le hirak ?
Ecrire un article, c’est informer. Poser un acte. Affirmer sa vision du monde, aussi. Il y a deux ans, lorsque le hirak (soulèvement populaire) a commencé en Algérie, j’ai senti une frémissement intérieur. L’Algérie m’a toujours concerné. De près ou loin. Française issue de l’immigration, dans mon pays natal, immigrée dans celui de mes parents et le mien par transitivité.
A Kherrata (wilaya de Bejaïa), malgré une première manifestation d’ampleur contre le cinquième mandat d’A.Bouteflika, tous ignorent la tournure des événements à venir.
Nous sommes le 16 février 2019. La colère gronde déjà depuis longtemps. En décembre dans les faubourgs de Bab el Oued, certains habitants clament haut et fort, leur rejet du cinquième mandat. Sur la place de l’émir Abdel Kader, un groupe de citoyens s’activent, dès le 9 février. Il est trop tôt. Le vacarme de la rue algérienne étouffe le bruit timoré de la contestation. Personne n’entend ce souffle populaire, venu des confins du passé et qui arrive avec la fougue irréversible de l’histoire en marche.
Le 19 février , le poster géant de A.Bouteflika glisse de la façade la mairie. Je vois mais je ne regarde pas les pieds, qui piétinent le visage du candidat, figé dans un inquiétant sourire de pantomime. J’avais cru les choses figées en Algérie. Comme si l’indépendance de 1962 n’avait été qu’une conjuration, formulée par des imbéciles ligué contre ce peuple-héros.
Le hirak me surprend et c’est une marée humaine que je contemple, les yeux emplis d’admiration, déferler sous le soleil des villes d’Algérie, ce 22 février 2019.
Il y a deux ans. Une goutte, à l’échelle de l’histoire. Car si l’Algérie n’a que 60 ans (ce qui est en fait une contre-vérité historique), qu’est-ce 24 mois pour changer de système? Une entrée en matière.
Le très politique peuple algérien
Au-delà de la première victoire du hirak, à savoir le départ d’Abdelaziz Bouteflika, l’une des principales revendications consiste en la tenue d’une assemblée constituante. Sans changement de constitution (dont la dernière réforme a formalisé le rôle de l’armée) et le passage à une deuxième république, le hirak n’aura pas atteint son objectif.
Parce que la mue de la constitution porte en elle, l’essence même de la protestation: “Dawla madania, machi askaria"! (“Pour un état civil, pas militaire”). C’est sur ce point que la crise politique achoppe.
Crise politique, important de le préciser car elle n’est qu’un volet qui explique la puissance de la contestation.
La situation en Algérie est, aussi, le fruit d’un marasme économique (la malédiction des hydrocarbures) et social (près de 15% de taux de chômage en 2019).
Une exigence, celle d’un état civil, formulée, tambour battant, dans les manifestations où les pancartes politiques tutoient l’autodérision, véritable découverte pour les scrutateurs du mouvement. L’humour algérien existe et il est aussi caustique que politique.
(Lire à ce sujet El Manchar, fondé par Nazim Baya, véritable monument du “journalisme” parodique et inspiré du journal El-Manchar historique né en décembre 1990).
Depuis la France, je suis les circonvolutions des marches du vendredi, dont le néologisme “vendredire” résume, désormais, l’action de défiler contre le système.
A Paris, c’est le dimanche que la diaspora mène son petit bout de hirak. Sur la place de la République, des centaines d’Algériens (résidents ou franco-algériens) battent le pavé.
Le hirak, vecteur d’unité
Je m’y rends pour observer, discuter, raconter. Chez moi, le journalisme est un réflexe. Mais, très vite, je ressens le hirak dans mes tripes. Parce que justement, elles sont algériennes aussi. Je m’écrie, aux côtés, de mes “concitoyens” dont je suis pourtant si éloignée, mon amour de ce pays, adressé, en creux, à mes aïeux. Je scande le rejet du système, que pourtant, je ne subis pas vraiment.
Très vite, les questions de ma présence se posent. Suis-je légitime à parler du hirak? Les immigrés comme moi, ces Algériens de “pacotille” nés en France, ont-ils voix au chapitre dans cette contestation inédite? Au-delà des marches pleines d'allégresse, pouvons-nous jouer un rôle politique en faveur du changement ?
Puis, je me rappelle. Plutôt, j’exhume de la mémoire inconsciente familiale, un fait. Mon père fut membre actif de la Fédération de France du FLN. Celle qui finança le maquis depuis la métropole.
Entre 1955 et 1962, l’organisation a collecté plus de 40 milliards d’anciens francs…Mon père y a laissé des plumes et ses illusions dans ces années-là et les suivantes…Nous aurons l’occasion d’en reparler. (Lire, la 7e wilaya, Ali Haroun, Seuil, 1986). Me voilà resituée, dans cette histoire franco-algérienne. Important de savoir d’où l’on parle.
Reprise du hirak ? Ce 22 février 2021, pour les deux ans du mouvement, une foule compacte se déploie sur le boulevard Didouche Mourad.
Beaucoup balaient d’un revers de manche le procès en légitimité. Je remarque l’absence relative d’”immigrés”, les Français-algériens.
La plupart des manifestants parisiens sont des résidents ou des sans-papiers algériens. Nos écosystèmes respectifs sont habituellement hermétiques, les uns aux autres.
Pourtant, la place de la République a dissipé les murs invisibles. J’en ai le sentiment. Sur le bitume parisien, je ne suis plus une immigrée, pas plus qu’eux sont des Algériens ou des clandestins de Barbès. Le rejet du régime a consumé méfiance, jalousie et mépris qui entravent nos relations. Nous communions et c’est assez rare pour l’ignorer.
Même si le dernier article que j’ai écrit sur le sujet a suscité de violents commentaires sur Facebook, la diaspora a un rôle à jouer dans le hirak.
J’en suis désormais convaincue. D’autant qu’elle a toujours suscité le soupçon auprès du régime algérien. Pétrie de libertés fondamentales*, la diaspora s’est vue soigneusement mise à la marge du développement du pays. Une réalité cruellement apparue en 2016 lors de la réforme constitutionnelle.
Le premier ministre de l’époque, Ahmed Ouyahia, avait introduit l’article 63 qui stipulait ceci: « la nationalité algérienne exclusive est requise pour l’accès aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques ».
Si le président Tebboune avait promis de l’ôter du texte fondamental, l’article 67 et 87 maintiennent cet ostracisme.
Les binationaux ne peuvent, donc, ni se porter candidat à la magistrature suprême, ni accéder aux postes de “la haute fonction publique liés à la souveraineté ni à la sécurité nationale”.
Si la disposition peut se défendre selon certains, il n’empêche. Ces articles déclassent, ouvertement, une partie des Algériens. Qui dit déclassement, dit échelle dans la citoyenneté. Une algérianité pleine vs une algérianité partielle. Ce débat raconte, en décalque, la consistance de chacun des hirakistes. Et leur légitimité, par collusion, peut-être aussi.
Cette réalité m’est familière. La façon dont les puissants construisent les sommets des pyramides et vous en excluent ou non. Le débat sur les binationaux en Algérie s’est noué au même moment que celui sur la déchéance de nationalité en France. Annoncée par François Hollande, au lendemain du Bataclan, elle prévoit de déchoir les binationaux condamnés pour terrorisme.
Fabriquer des catégories de citoyens. Créer des apatrides. Le 6 mars 2016, l’article 63 de la réforme constitutionnelle algérienne est voté (cf plus haut) tandis que le projet de F.Hollande, sera, lui abandonné. Triste collusion calendaire. Un bon résumé, malgré tout, de l’histoire de ces binationaux dont les “immigrés” en sont la métaphore la plus criante.
Au moins symboliquement. Une plaisanterie raconte ce basculement permanent entre deux pays, deux histoires, deux patries: “Finalement notre place, nous les immigrés, elle est dans l’avion”. Jamais où il faudrait.
Pour ma part, j’écris, désormais, mon récit, persuadée d’être à ma place partout. Surtout, je pense être (comme beaucoup de binationaux) la synthèse la plus aboutie de la France et de l’Algérie…
*Je ne parlerai pas d’acculturation au mode de vie occidental car je pense que l’inclination à la liberté et aux droits n’est pas un apprentissage mais plutôt une conviction absolue. L’histoire de la lutte des peuples colonisés, notamment en Algérie, en est un exemple. La notion de justice n’a ni historicité, ni territorialité)..
Pour aller plus loin:
“Le hirak reprend à son compte les fondamentaux de l’histoire révolutionnaire algérienne”, Karima Dirèche, El Watan, 21 février 2021
“Les binationaux peuvent-ils (aussi) écrire cette nouvelle Algérie?”, Nadia Henni-Moulaï, MeltingBook, 28 février 2019
“On est hybrides mais on se sent légitimes dans ce soulèvement”, N.H-M MeltingBook, 5 mars 2019
“Le hirak peut-il se réinventer”, N.H-M, Jeune Afrique, 21 février 2021
“La question des excuses est une affaire franco-française”, sur le sujet des excuses de la France vis-à-vis de l’Algérie et qui raconte, aussi, la place de la diaspora dans ce hirak: ma tribune pour Jeune Afrique dont je ne suis pas peu fière ;)
Replay
#Conversation ZOOM
Retrouvez la conversation avec Vincent Geisser, chercheur, du vendredi 19 février. Nous sommes revenus sur l’impact de la loi “séparatisme”, confortant les principes républicains, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, le 18 février.
Il y est question d’Emmanuel Macron et de la ligne de crête sur laquelle il s’est engagé, à 15 mois des présidentielles.
En quoi, Macron incarne une figure hybride, pétrie de mythes de la vieille France et résolument libéral.
Promis la prochaine fois, je prends la version payante de Camtasia! Sans le filigrane ;)